Comment créer un manga : le processus professionnel étape par étape

Vous vous demandez comment créer un manga ou comment est créé un manga au Japon ? De l’idée initiale jusqu’à l’adaptation en animé, la création d’un manga suit un parcours rigoureux. Dans cet article, nous détaillons les étapes clés de la création d’un manga professionnel : élaboration du scénario, storyboard (nemu), dessin et encrage, travail en équipe avec les assistants, rôle de l’éditeur, prépublication en magazine, sortie en volumes reliés (tankōbon), et parfois adaptation en animé.
Des exemples concrets (Weekly Shōnen Jump, mangakas célèbres, délais serrés, etc.) illustreront ce cheminement créatif. Suivez le guide pour comprendre comment les mangakas s’y prennent et comment vous inspirer de leur méthode pour créer votre propre manga.
Étape 1 : Élaboration du scénario d'un manga
Tout manga commence par une histoire. Le mangaka (l’auteur-dessinateur de manga) ou son scénariste pose les bases du récit : univers, intrigue, personnages, et rythme narratif. Il s’agit d’imaginer une trame captivante adaptée au public visé. Par exemple, un magazine shōnen (pour jeunes garçons) attendra souvent une aventure héroïque dynamique, tandis qu’un magazine shōjo (pour jeunes filles) privilégiera la romance.
Le mangaka et son éditeur discutent en amont pour s’assurer que le concept correspond à la ligne éditoriale du magazine ciblé. Une fois le scénario défini, découpé en chapitres, le mangaka peut passer à l’étape suivante : le storyboard.

Étape 2 : Le storyboard d'un manga
Le storyboard, appelé nēmu (ou name) au Japon, est le brouillon dessiné du manga. À cette étape, l’auteur transpose son scénario en images esquissées : disposition des cases, enchaînement des scènes, dialogues dans les bulles… L’objectif n’est pas la beauté du dessin, mais la clarté de la narration visuelle. Le mangaka réalise le nemu de chaque chapitre et le présente à son responsable éditorial (tantō) pour relecture.
L’éditeur joue un rôle crucial à ce stade de la création d'un manga : il donne son avis, pointe les incohérences ou améliorations possibles, afin d’optimiser l’impact du récit. Ce n’est qu’après validation du storyboard par l’éditeur que le mangaka pourra entamer le dessin final. Cette phase d’allers-retours peut être déterminante, l’exemple célèbre étant L’Attaque des Titans de Hajime Isayama, dont le concept fut initialement refusé par un éditeur avant de connaître le succès que l’on sait.

Mangaka et assistants : un travail d’équipe sous pression
Le créateur de manga s’appuie souvent sur une équipe pour tenir les délais hebdomadaires. Contrairement à l’image de l’artiste solitaire, beaucoup de mangakas professionnels travaillent avec des assistants. Ces collaborateurs épaulent l’auteur en dessinant les décors, les arrière-plans, en appliquant les trames (motifs de gris) et en réalisant d’autres tâches techniques, pendant que le mangaka se concentre sur les personnages principaux et les éléments clés.
Le nombre d’assistants varie selon les auteurs et la charge de travail : certains travaillent seuls ou avec un seul aide, mais la norme tourne souvent autour de 3 ou 4 assistants dans les grandes séries. Cette répartition du travail en équipe est indispensable compte tenu des délais serrés. En effet, la plupart des mangas sont prépubliés à un rythme intense. Par exemple, il s'agit de l'ordre d'un chapitre d’environ 19 pages chaque semaine pour un magazine hebdomadaire comme Weekly Shōnen Jump. Livrer cette quantité de pages en temps voulu est un défi colossal. Même avec du soutien, produire 19 pages par semaine reste épuisant, et à leurs débuts les mangakas doivent souvent tout faire de A à Z avant de pouvoir s’offrir des assistants.

Les créateurs célèbres ne font pas exception : Eiichirō Oda, l’auteur de One Piece, avoue travailler quasiment 21 heures par jour (de 5h du matin à 2h du matin le lendemain) et ne dormir que 3 heures, afin de boucler un chapitre chaque semaine. Ce rythme de travail extrême explique pourquoi les assistants sont considérés comme une aide précieuse, et pourquoi le métier de mangaka est réputé éprouvant.
Étape 3 : L’encrage et la finalisation des planches du manga
Une fois le storyboard validé, place au dessin définitif. Le mangaka réalise d’abord un crayonné détaillé de chaque planche, puis procède à l’encrage : il repasse les traits au stylo ou pinceau noir pour un rendu propre et contrasté. C’est cette étape qui donne aux pages leur aspect fini en noir et blanc caractéristique du manga.
En parallèle, les assistants interviennent pour peaufiner les décors, remplir les aplats de noir, et ajouter les trames adhésives ou numériques qui apportent ombres et textures. Aujourd’hui, certains auteurs travaillent encore à la plume G traditionnelle et à l’encre de Chine, tandis que d’autres utilisent des outils numériques, mais le principe reste le même. L’encrage requiert minutie et savoir-faire, car une fois l’encre posée, impossible de gommer ! Chaque page doit être impeccable avant l’envoi à l’éditeur.

Souvent, le mangaka et son équipe disposent de très peu de marge : dans un système hebdomadaire, ils ont en pratique 2 à 3 jours pour le storyboard, puis 3 à 4 jours pour le dessin/encrage final d’un chapitre. Autant dire que les nuits blanches sont fréquentes à l’approche des bouclages…
Étape 4 : La validation éditoriale
Au Japon, chaque mangaka professionnel collabore étroitement avec un éditeur attitré au sein de sa maison d’édition. Ce dernier n’est pas qu’un simple correcteur, il est un partenaire créatif. L’éditeur connaît les attentes du magazine (démographie des lecteurs, styles des séries déjà publiées) et oriente l’auteur pour créer un manga original qui saura trouver sa place. Les réunions mangaka-éditeur sont régulières et couvrent tous les aspects, parfois même des discussions anodines pour stimuler l’inspiration.
Comme évoqué plus haut, l’éditeur examine d’abord le nemu (storyboard) et demande des modifications si nécessaire. Une fois les planches définitives dessinées et encrées, il effectue un dernier contrôle qualité : cohérence du récit, clarté des cases, orthographe, etc. La validation éditoriale est l’ultime feu vert avant impression. Un éditeur aguerri sait détecter le potentiel d’une œuvre et d’un auteur, ou au contraire signaler ce qui ne fonctionnera pas. C’est ainsi qu’un projet peut être refusé, remanié ou interrompu en cours de route si la qualité ou les retours des lecteurs ne sont pas au rendez-vous. Cependant, ce suivi rigoureux porte ses fruits : l’éditeur et le mangaka partagent le même objectif de publier un manga qui captivera le public.

Étape 5 : La prépublication en magazine
Une particularité du manga au Japon est son mode de publication par chapitres dans des magazines compilant plusieurs séries. Une fois son chapitre terminé, le mangaka le remet à temps pour la prépublication. Par exemple, Weekly Shōnen Jump est un magazine hebdomadaire emblématique qui publie chaque semaine les nouveaux chapitres de dizaines de séries populaires (One Piece, My Hero Academia, etc.). Les chapitres sont imprimés en noir et blanc sur papier journal, à quelques exceptions près : certaines séries bénéficient ponctuellement d’une page en couleur ou d’une couverture couleur dans le magazine, honneur souvent réservé aux séries en vue.
Le rythme de parution dépend du magazine : hebdomadaire (~19 pages par semaine) ou mensuel (~30 à 45 pages par mois). Dans tous les cas, la cadence est soutenue et la pression constante. Les mangakas doivent tenir ces délais serrés sans quoi leur histoire pourrait perdre son créneau de publication. Cela implique un véritable marathon créatif, où chaque semaine (ou mois) un nouveau chapitre doit être prêt. Certains magazines, comme Shōnen Jump, fonctionnent en plus avec un système de votes des lecteurs : les séries les plus appréciées continuent, tandis que celles en baisse de popularité risquent l’arrêt rapide. Cette compétition ajoute une pression supplémentaire sur l’auteur qui doit sans cesse se renouveler. Néanmoins, voir son manga être publié dans un grand magazine offre une visibilité énorme et un premier public fidèle chapitre après chapitre.

Étape 6 : Du magazine au tome relié (tankōbon)
Lorsque suffisamment de chapitres du manga ont été prépubliés (généralement 8 à 12 chapitres selon leur longueur), l’éditeur compile le tout pour une publication en volume relié, appelé tankōbon au Japon. Ce sont les tomes numérotés que l’on retrouve en librairie, équivalents des albums pour la bande dessinée. L’édition en tankōbon est l’aboutissement pour le mangaka : elle permet de toucher un public plus large qui préfère lire l’histoire d’un seul tenant.
Avant l’impression du tome, l’auteur peut apporter de légères corrections aux planches (fonds retouchés, fautes corrigées, cases redessinées) pour peaufiner son œuvre. Le tome relié comporte souvent des bonus : illustrations couleur en ouverture, pages bonus ou commentaires de l’auteur. C’est aussi l’occasion d’un nouveau tirage commercial : les ventes de tankōbon sont un indicateur crucial du succès d’un manga. Par exemple, les mangas à succès comme Demon Slayer ou Jujutsu Kaisen atteignent des tirages en millions d’exemplaires une fois compilés en volumes. À noter que la sortie d’un tome intervient tous les 3 à 4 mois environ pour une série hebdomadaire (après accumulation des chapitres nécessaires).

Ce cycle magazine → tankōbon est le modèle économique central du manga : la prépublication assure la promotion régulière de l’histoire, tandis que les ventes de tomes apportent la majeure partie des revenus au mangaka et à l’éditeur.
Étape 7 : L'adaptation du manga en animé
Pour les mangas qui rencontrent un grand succès, la prochaine étape est souvent l’adaptation en animé. Être adapté en dessin animé (sous forme de série TV, film d’animation ou OAV) permet de décupler la popularité d’un manga. Historiquement, la majorité des grands mangas shōnen ont eu droit à leur anime : Dragon Ball, One Piece, Naruto, L’Attaque des Titans… La production d’un anime est généralement confiée à un studio d’animation, et le mangaka original y est plus ou moins impliqué (certains supervisent le scénario ou le character design, d’autres laissent faire les studios).
L’adaptation est souvent annoncée une fois qu’un certain nombre de tomes sont parus, pour que l’anime ait suffisamment de matière sans rattraper le manga trop vite. Le passage à l’écran apporte une nouvelle audience qui découvrira ensuite le manga, et booste les ventes des volumes.

Devenir mangaka : s’inspirer du processus professionnel
Pour un auteur français qui souhaite devenir mangaka, il est instructif de s’inspirer de ce processus professionnel. Inutile d’être un studio de 5 personnes pour commencer ; retenez surtout ces points :
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Scénario solide et original – Prenez le temps d’écrire une histoire complète ou au moins un arc narratif. Même un one-shot (histoire courte) mérite un scénario travaillé. Cherchez à vous démarquer avec un concept accrocheur.
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Storyboard préparatoire – Dessinez un storyboard de vos pages avant de les finaliser. Ce « brouillon » vous aidera à vérifier la lisibilité de l’action et la bonne répartition des cases et dialogues, comme le font les pros. N’hésitez pas à faire relire votre nemu à des proches ou à la communauté pour avoir des retours, à la manière d’un éditeur.
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Discipline et organisation – Fixez-vous des délais et respectez-les. Créer un manga demande du temps et de la régularité, surtout si vous comptez publier en ligne ou participer à des concours. Élaborez un planning (écriture, dessin, encrage) et entraînez-vous à tenir un rythme soutenu. La constance est la clé pour progresser et mener votre projet à terme.
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Qualité du dessin et de l’encrage – Travaillez sans cesse votre dessin manga (anatomie, décors, perspectives) car une histoire captivante mérite une bonne mise en image. Encrer vos planches avec soin donnera un aspect professionnel à votre manga. Apprenez aussi à utiliser les trames et effets pour enrichir vos pages.
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Persévérance et amélioration – Enfin, comme tout mangaka qui débute, ne vous découragez pas. Publiez vos œuvres (sur des forums, réseaux sociaux, fanzines), acceptez les critiques constructives et servez-vous-en pour vous améliorer. De nombreux auteurs célèbres ont essuyé des refus avant d’être publiés ! L’important est de persévérer et d’affiner votre art.

En résumé, créer un manga est un parcours exigeant qui va de la conception de l’histoire jusqu’à la diffusion à grande échelle. Le processus professionnel japonais, avec ses étapes structurées et son rythme effréné, peut impressionner. Cependant, il offre un cadre auquel les aspirants mangakas peuvent se référer. En maîtrisant progressivement chaque étape et en adoptant une méthode de travail sérieuse, un jeune auteur peut faire son manga dans de bonnes conditions. Qui sait, avec du talent et de la détermination, vous serez peut-être le prochain à publier votre œuvre et à vivre de votre passion du manga !
Sources : Le processus de création décrit s’appuie sur des témoignages de mangakas et éditeurs japonais, ainsi que sur des analyses du rythme de travail dans des magazines comme Shōnen Jump. Des exemples concrets comme Eiichirō Oda (One Piece) illustrent les réalités du métier de mangaka, tout comme la relation auteur-éditeur présentée par Junko Kawakami. Ces références soulignent à quel point devenir mangaka professionnel requiert à la fois créativité, organisation et endurance. Bonne chance dans la création de votre manga !